J’ai eu le plaisir d’être interviewé par la télévision publique slovène, RTV SLO, sur le développement de l’IA dans le monde, la nécessité de créer des alternatives en Europe, de penser sa régulation et du rôle crucial de l’open source
IA : quelles inquiétudes, une vrai menace?
L’IA est en train de changer le monde de manière radicale. Elle est également en train de devenir un secteur très influent. Quelles sont vos plus grandes inquiétudes face au développement rapide de l’IA ?
Je pense que la plus grande menace qui pèse à l’usage de l’intelligence artificielle, c’est le fait qu’une IA vous donne toujours une réponse unique à l’une de vos questions. On a été habitué avec Internet d’aller sur des moteurs de recherche et quand vous cherchiez en fait via une question, vous aviez une multiplicité de choix. Il suffisait d’aller vérifier les différents choix qui existaient. Avec l’IA, vous avez une question, l’IA vous donne une réponse unique. Et pour illustrer mon propos, prenez l’exemple de cette intelligence artificielle, une des plus connues aujourd’hui, l’une des plus utilisées : quand vous lui posez la question de quelle est la capitale de Taïwan ? Sa réponse, c’est Pékin. Alors imaginez tous les dégâts que cela peut poser en termes d’éducation vis à vis des plus jeunes générations qui s’informent de plus en plus grâce à Internet et de plus en plus grâce à l’intelligence artificielle.
IA : une opportunité pour l’Europe
Les États-Unis et la Chine ont pris de l’avance dans ce domaine. Où en est l’Europe aujourd’hui ? Où en est la France ?
On dit souvent que l’Europe est en retard. C’est vrai d’un point de vue des levées de fonds. C’est vrai aussi d’un point de vue de l’activité en terme de chiffre d’affaires. Mais je crois que la France et l’Europe jouent une autre partie sur le grand enjeu qui est le nôtre, c’est d’être en mesure de développer une troisième voie numérique, une autre approche du numérique face au numérique américain et au numérique chinois. Et en ce sens, en France, Nous avons beaucoup de chance puisque nous avons un président de la République, Emmanuel Macron, qui a bien compris l’ensemble des enjeux liés au développement de l’intelligence artificielle. Et le mois de juin dernier, il a annoncé, à l’occasion d’un événement qui s’appelle Viva Tech, un grand projet, un grand programme pour la France et pour l’intelligence artificielle, et en particulier pour l’intelligence artificielle open source. Lui même a rappelé que le gouvernement français supportait l’open source. Il a même précisé Le gouvernement français aime l’open source. Je crois que c’est le premier président au monde à être aussi clair concernant l’open source et l’open source AI, l’intelligence artificielle libre et ouverte. Et donc c’est à nous en Europe de construire un autre modèle d’intelligence artificielle.
IA : oui une régulation s’impose
Pensez-vous que les décideurs politiques prennent au sérieux les développements de l’IA et ses risques ? Certaines voix s’élèvent pour dire qu’il faut redoubler d’efforts afin d’éviter que les ordinateurs n’envahissent notre société et que l’IA ne creuse le fossé social. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Je ne suis pas contre la réglementation, bien au contraire.
Alors, les politiques, aujourd’hui ont compris qu’il y avait un grand enjeu qui était celui de l’intelligence artificielle. Il n’y a pas de doute par rapport à ça. Néanmoins, la plupart se font le relai des inquiétudes qui sont poussées par les grands lobbys des firmes internationales et notamment les grands acteurs américains, les fameux Big Tech, les GAFAM, auxquels il faut rajouter, bien entendu, OpenAI. Et donc le jeu de ces acteurs, c’est d’expliquer que naturellement, il pourrait y avoir des risques, notamment concernant l’intelligence artificielle open source, parce que ça permettrait à des petits groupes éventuellement, certains disent même, à des groupes terroristes, par exemple, de pouvoir accéder à la façon de savoir faire une bombe. Tout ça, c’est ce qu’on appelle en bon français du « fluff », c’est à dire qu’on manipule des doutes. On manipule la peur pour réglementer en réalité sur des sujets qui ne sont pas des sujets essentiels. Et comme ça, on oublie de réglementer là où il faut réglementer parce que je ne suis pas contre la réglementation, bien au contraire. Mais je crois, que depuis toujours, notamment, l’Open source a démontré sa capacité d’auto s’organiser, d’auto sécuriser ses développements. Et il ne faut pas avoir peur de l’intelligence artificielle, encore moins quand elle est open source.
IA : la solution Open Source
Soutenez-vous la nécessité de réglementer l’intelligence artificielle ? De quelle manière ?
Le seul moyen pour l’Europe de développer ses propres solutions d’IA, c’est de passer à travers ce qu’on appelle l’open source AI.
Il faut tout faire pour que il y ait une, ou des intelligences artificielles qui soient développées en Europe sur des jeux de données qui respectent le droit d’auteur et que l’on développe une IA de confiance sur qui permettra à chacun d’utiliser sereinement les capacités de l’intelligence artificielle. L’intelligence artificielle est un progrès pour l’humanité, mais il faut que cette IA serve l’humanité. Et pour ça, il faut continuer à travailler avec les politiques, avec ceux qui s’occupent de régulation pour garantir ce cadre là. Ma conviction profonde, c’est que le seul moyen pour l’Europe de développer ses propres solutions d’IA, c’est de passer à travers ce qu’on appelle l’open source AI. C’est à dire des technologies libres appliquées à l’intelligence artificielle. Et c’est en partageant les efforts entre les laboratoires de recherche publics, les grandes universités et les écoles d’ingénieurs, et des entreprises comme LINAGORA que l’on sera en mesure de faire une IA européenne qui ressemble aux valeurs européennes.