PFUE 2022: Construire la Souveraineté Numérique de l’Europe

PFUE 2022: Construire la Souveraineté Numérique de l’Europe

Pas de souveraineté politique sans souveraineté numérique…

En février dernier, au Ministère de l’Economie et des Finances, nous étions invité, aux côtés de responsables politiques français et européens, personnalités du monde de la recherche et autres dirigeants d’entreprise à venir désigner les voies d’action pour construire la Souveraineté Numérique en Europe. La ligne de fond avait été donnée par Bruno Lemaire, notre hôte pour l’occasion: il ne y avoir de souveraineté politique sans souveraineté numérique.

Raison pour laquelle la question de la Souveraineté Numérique occupait une place centrale à l’agenda de la Présidence Française de l’Union Européenne (PFUE 2022) en ce début d’année 2022. Et quand on cherche à identifier les leviers d’action en matière de souveraineté numérique, on arrive naturellement à cette notion, encore mal connue, que sont les Communs Numériques.

Notion qui est évidemment au cœur de l’activité du groupe LINAGORA, puisque fort de notre place parmi les 150 premiers contributeurs mondiaux, au classement de l’OSCI (Open Source Contributor Index), LINAGORA se retrouve aux côtés de champions comme Docker et bien devant des géants américains comme Yahoo par exemple.

Histoire de bien planter le décor et dans un souci de pédagogie, je choisissais de rappeler l’une des réalisations les plus significatives de ces dernières années en terme de Communs Numériques: la contribution de la Fondation Apache via le Serveur de messagerie James qui offre une optimisation majeure du protocole de messagerie, passant de l’IMAP au JMAP tirant avantage du meilleur des technologies Cloud et d’IA pour un résultat sans précédent aussi bien en terme d’infrastructure SI que d’impact environnemental. D’autant que sur les 20 développeurs à l’origine de cette évolution majeure, la moitié est financée par LINAGORA. Cette contribution est très concrète et offre un très fort impact. L’Estonie, d’ailleurs ne s’y est pas trompé, en retenant la solution pour déployer pas moins d’1,5 M de comptes et gérer ainsi l’identité numérique et l’accès aux services publics pour ses citoyens et résidents. Un exemple à suivre de toute évidence en matière de souveraineté numérique…

Ce dernier exemple en est la parfaite illustration: l’appui du secteur public est essentiel pour continuer à maintenir ces communs numériques et conserver le leadership que nous avons créé en la matière en Europe. Il est aussi important de ne pas opposer les univers, développeurs bénévoles, fondations, entreprises privés et acteurs publics mais bien au contraire de les rassembler pour créer de la valeur en commun. Lors de cette intervention, à la question de « comment FAIRE? » j’ai distingué plusieurs leviers:

1 – Soutenir l’investissement en Recherche et Développement

A l’instar du programme Horizon H2020 pour les investissements d’avenir soutenus par l’Union Européenne, il faut que le programme Horizon H2030 donne une place importante à la création de communs numériques et au monde de l’Open Source. Il s’agit d’une volonté et décision stratégique à prendre pour mettre en œuvre la souveraineté numérique de l’Europe.

2 – Créer une Fondation Européenne des Communs Numériques et de l’Open Source

Il faut l’envisager comme un levier de financement supplémentaire offrant des voies et moyens à ceux qui développent de l’Open Source en Europe.

3 – L’Appui de la Commande Publique

C’est une question qui fait consensus parmi les acteurs des filières numériques. De France Digitale, à Numeum en passant par les fédérations professionnelles et encore l’Euro JEDI (ARPA européen), tous en appel à l’équivalent d’un « Small Business Act » européen orienté sur le développement de communs numériques. D’ailleurs il faut arrêter d’être naïf, comme l’a rappelé Bruno Lemaire dans son allocution inaugurale: Sans l’intervention de la commande publique aux États Unis, il n’y aurait jamais eu de Palantir, ni de SpaceX… Il est est temps en Europe de nous doter de moyens et de décisions politiques similaires.

D’autant que la prévalence pour le Capital Risque dans le financement de l’innovation avec cette fameuse course aux licornes, calquée sur le modèle américain induit un biais certain et une forte concurrence pour les acteurs de l’Open Source notamment dans leurs accès aux talents.

4 – Une Réglementation et Fiscalité transformatrices

Il ne faut pas voir la réglementation comme un élément limitatif mais plutôt comme un levier de transformation et de protection face aux dérives oligopolistiques des plateformes des géants de l’internet chinois et américain. Évidemment, en ce sens, le règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act, ou DMA) et le règlement sur les services numériques (Digital Services Act, ou DSA) sont des avancées majeures mais il faut aller encore plus loin.

Un volet fiscal mettant sur le même plan les développeurs de communs numériques / technologies Open Source et les acteurs de l’ESS (Économie Sociale et Solidaire) serait particulièrement cohérent. Il faut pouvoir distinguer ces entreprises numériques qui fabriquent des biens communs et défendent ainsi l’intérêt général: « GoodTech = ESS ».

5 – Mettre en avant les « Role Models » existants

J’insiste aussi toujours sur l’importance de mettre en avant les champions qui existent déjà parmi les grands contributeurs de Communs Numériques et du Logiciel Libre en Europe: Framasoft – SuseToucan – OnlyOffice – Talend

Ainsi que tous ces fondateurs, visionnaires, courageux qui font bouger les lignes. Il ne faut jamais perdre une occasion de les citer et de leur rendre hommage.

  • Jean-Paul Smets avec Amarisoft qui démontre qu’il est possible de créer de l’Edge Computing décentralisé et plus économique ;
  • Ludovic Dubost avec XWiki et CryptPad ;
  • Jean-Baptiste Kempf avec VideoLan et son lecteur vidéo tout format VLC comptant pas moins de 100M d’utilisateurs à travers le monde. Ils sont notamment en train d’inventer de nouveaux Codecs qui vont bientôt révolutionner la téléconférence ;
  • Gaël Duval avec Mandriva et Mandrakesoft qui actuellement via la fondation « e » est en train de « DéGoogleliser » les téléphones portables pour donner naissance à un OS mobile souverain. Et oui c’est possible!
PFUE 2022 Alexandre Zapolsky2

Oui à un commité stratégique des filières « Confiance Numérique »

Il est effectivement important de s’autoriser à croire que c’est possible, tout est toujours possible. C’est l’intérêt des géants actuels que de nous faire croire que « le game est plié », c’est faux! Il faut prendre conscience que l’Europe est capable de donner naissance à de vrais leaders mondiaux et notamment en s’appuyant sur les communs numériques et qu’une 3ème voie numérique est possible.

Si demain vous créez 1000 LINAGORA, vous créez 250.000 emplois en plus en Europe dédiés aux communs numériques et à l’Open Source. Il faut y aller…

Alors, « OUI » aux Fondations, oui aux communautés, oui aux licornes de l’open source !

Il faut maintenant s’organiser pour peser dans le débat public.

J’en appelle à l’ensemble des filières, il nous faut nous rassembler en un Comité Stratégique que nous pourrions nommer: « Confiance Numérique ». Ensemble, créons cette troisième voie numérique en Europe.

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